dimanche 5 juillet 2015

"Le Joueur d'échecs de Maelzel" - Edgar Allan Poe

Presque deux cent ans après la parution de ce texte en avril 1836, à l'aube du règne à tout-à-l'automatique, la possibilité qu'une machine puisse battre l'humain sur le plan de l'intelligence et du raisonnement n'est plus du domaine de l'inconcevable. Au contraire, et ça en devient même un peu terrifiant. Pourtant, à l'époque, on se posait encore cette question : comment un automate pourrait-il jouer aux échecs sans l'intervention d'un humain ?
"Si ces machines révélaient du génie, que devrons-nous donc penser de la machine à calculer de M. Babbage ? Que penserons-nous d’une mécanique de bois et de métal qui non-seulement peut computer les tables astronomiques et nautiques jusqu’à n’importe quel point donné, mais encore confirmer la certitude mathématique de ses opérations par la faculté de corriger les erreurs possibles ? Que penserons-nous d’une mécanique qui non-seulement peut accomplir tout cela, mais encore imprime matériellement les résultats de ses calculs compliqués, aussitôt qu’ils sont obtenus, et sans la plus légère intervention de l’intelligence humaine ? (...) Les calculs arithmétiques ou algébriques sont, par leur nature même, fixes et déterminés. Certaines données étant acceptées, certains résultats s’ensuivent nécessairement et inévitablement. Ces résultats ne dépendent de rien et ne subissent d’influence de rien que des données primitivement acceptées. (...) Mais dans le cas du Joueur d’échecs il y a une immense différence. Ici, il n’y a pas de marche déterminée. Aucun coup, dans le jeu des échecs, ne résulte nécessairement d’un autre coup quelconque. D’aucune disposition particulière des pièces, à un point quelconque de la partie, nous ne pouvons déduire leur disposition future à un autre point quelconque."
A partir de cette réflexion, Edgar Allan Poe s'évertue à démontrer qu'il y a bien un homme caché derrière cette construction. Rien que l’ingéniosité mise en œuvre pour réaliser une telle machine à l'époque en vaut le détour, et les mécaniques sont très bien détaillées ici. Il faut beaucoup de réflexion et d'acharnement pour réussir à mettre à jour le truc, ce que beaucoup auront tenté de faire (mais aucun n'aura réussi à dévoiler le secret en entier avant la révélation du dernier acquéreur). Et en lisant ce texte, on y est tout entier, à fureter entre les rouages à la lumière de la bougie, à observer attentivement les gestes du joueur d'échec robotisé pour y trouver la marque de l'homme derrière la machine.

Ce qui était à l'époque un des plus habiles tours de prestidigitation, source d'une grande admiration et de nombreux questionnements, n'est plus aujourd'hui qu'un fait banal. Un jour, nous essayerons peut-être de déceler la trace de la machine qui se cache derrière l'homme. En attendant, on continuera de prendre plaisir à déterrer des petites pépites littéraires grâce aux éditions Allia, en ruminant que c'était quand même mieux avant.

par Mrs.Krobb

Le Joueur d'échecs de Maelzel de  Edgar Allan Poe
Littérature anglaise (traduction par Charles Beaudelaire)
Allia, février 2011
6,20 euros

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