samedi 5 mars 2016

"Le Prophète et Le jardin du Prophète" - Khalil Gibran

Le prophète est un homme, un ermite, un sage qui répand une parole juste, sincère, et divine. Ici, de manière très poétique, très simple. Il s'adresse à tous, sans distinction d'âge, de statut, de sexe, de patrie. Ses mots sont universels et chacun peut les comprendre, les assimiler et en faire un mode de vie, un mantra. Il erre dans le monde, et s'il reste loin de ceux à qui il professe, c'est pour mieux voir le tableau dans son ensemble. C'est un solitaire qui pourtant n'hésite pas à user de bienveillance envers ses semblables, dans le souci d'une cohésion, d'une communauté unie, plus forte et plus éveillée. Il se rapporte souvent au divin, mais ne parle jamais religion, il exhibe les beautés de la nature et les trésors de la vie, sans trop en faire, sans trop en dire, juste assez pour se faire entendre.

Dans la première partie, il s'attarde sur de grands concepts tels que ceux qui animent également les philosophes : la vie et la mort, la beauté, la religion, la justice, la raison, la douleur, l'enseignement... Cherchant toujours ce qu'il peut y avoir de plus beau et de mieux à faire pour chacun. Ce qu'il dit aux parents sur leurs enfants et aux amoureux passionnés, et qui s'applique aussi pour chaque rapport entre humain, afin d'éviter tout sentiment de possession, de soumission ou de jalousie :
Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont fils et filles du désir de vie en lui-même. Ils viennent par vous mais non de vous, et bien qu’ils soient avec vous, ce n’est pas à vous qu’ils appartiennent. Vous pouvez leur donner votre amour mais non vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez loger leurs corps mais non leurs âmes, car leurs âmes habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez vous efforcer de leur ressembler, mais n’essayez pas qu’ils vous ressemble. Car la vie ne retourne pas en arrière ni s’attarde à hier. Vous êtes les arcs qui projettent vos enfants telles des flèches vivantes. L’archer voit la cible sur le chemin de l’infini, et il vous courbe avec toute sa force pour ses flèches aillent vite et loin. Que cette courbure, dans les mains de l’archer, tende à la joie; car comme il aime la flèche qui vole, il aime aussi l’arc qui est stable.
Aimez-vous l’un l’autre, mais de l’amour ne faites pas des chaines :
Qu’il soit plutôt une mer se mouvant entre les rives de vos âmes.
Remplissez vos coupes l’un pour l’autre mais ne buvez pas dans une seule coupe.
Donnez-vous du pain l’un à l’autre mais ne mordez pas dans le même morceau.
Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que chacun puisse être seul, comme sont seules les cordes du luth alors qu’elles vibrent d’une même musique.
Donnez vos cœurs, mais pas à la garde l’un de l’autre. Car seule la Vie peut contenir vos cœurs dans sa main.
Restez l’un avec l’autre, mais pas trop près l’un de l’autre : Car les piliers du temple sont éloignés entre eux, et le chêne et le cyprès ne poussent pas dans l’ombre l’un de l’autre.
J'ai cependant préféré la deuxième partie et ai particulièrement bien adhéré à sa vision du monde, qui s'applique aussi bien hier qu'aujourd'hui, qu'on voudrait probablement voir changer pour demain :
Mes amis et compagnons de route, dit-il, 
Pitié pour la nation où existent mille croyances mais aucune religion. 
Pitié pour la nation dont les habitants portent un vêtement qu’ils n’ont pas tissé eux-mêmes, mangent un pain dont ils n’ont pas récolté le grain et boivent le vin qui n’a pas coulé de leurs pressoirs. 
Pitié pour la nation où l’on méprise une passion dans les rêves pour s’y soumettre au réveil. 
Pitié pour la nation où l’on n’élève la voix que dans les processions de funérailles, où l’on ne se glorifie qu’au milieu de ruines et où l’on ne se révolte que lorsqu’on a la nuque coincée entre le glaive et le billot. 
Pitié pour la nation où l’homme d’Etat est un renard, le philosophe un bateleur, et l’art, l’art du rafistolage et de contrefaçon. 
Pitié pour la nation où l’on accueille un nouveau souverain aux accents de la trompette pour le renvoyer sous les huées et en acclamer un autre aux mêmes accents de trompette que le précédent. 
Pitié pour la nation où les sages sont rendus muets par l’âge, tandis que les hommes vigoureux sont encore au berceau. 
Pitié pour la nation divisée, dont chaque partie revendique pour elle-même le nom de nation.
Je n'ai que peu de choses à rajouter sur ce très court recueil de pensées et de sagesse, car tout y est dit à la fois en substance et en profondeur, pour peu que l'on en saisisse le sens. Même ceux qui ne sont pas habitués à ce genre de lecture pourront y trouver un certain plaisir (et ceux qui s'intéressent à la peinture pourront aller voir quelques-uns de ses tableaux). Il ne faut cependant pas chercher à y apprendre quelque chose - laissez tout bagage à terre et n'ayez pas peur de vous mettre à nu, de mettre de côté croyances et jugements, laissez-vous porter.

par Mrs.Krobb

Le Prophète et Le jardin du Prophète de Khalil Gibran
Littérature anglaise (traduction par Camille Aboussouan)
Points, février 2014 (original : 1923 et 1933)
7,30 euros

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