lundi 22 mai 2017

"Radix" - A. A. Attanasio

Une nouvelle ère a lieu après la rencontre d'un trou noir déversant des radiations cosmiques importantes sur la Terre. Les humains mutent, rares sont ceux qui ne présentent aucune difformité et qui peuvent s'accoupler librement. Les autres sont relégués à l'esclavage, à moins d'avoir été quelque peu épargnés. Et puis il y a ces êtres venus d'ailleurs, les voors, télépathes et écailleux, qui se nourrissent de l'énergie psychique et qui peuvent s'accaparer les corps vidés d'esprit des humains. Et il y a les nouvelles intelligences artificielles, les grands esprits presque divins.
« J'ai besoin de renseignements sur les [humains de la civilisation précédente]. Est-ce qu'ils disposaient d'une puissante technologie ?
- Tout ça a disparu, aujourd'hui, marmonna Anareta. Leur plus grande réussite, leur plus importante réalisation, c'était leur pensée, la vision vers laquelle se portaient leurs aspirations. Vous vous perdriez dans leurs fonctions politiques et sociales. C'étaient des gens trop pragmatiques et trop militaristes pour réaliser leurs idéaux. C'est seulement dans leurs arts, dans toutes leurs préoccupations apparemment futiles, qu'on peut avoir un aperçu de leurs pensées profondes, de [leur âme]. Parfois, ils appelaient leur vision liberté, anarchie, individualisme. Nietzsche l'a exprimé clairement : "L'esprit libre se tient au sein du cosmos avec un joyeux et confiant fatalisme - il ne nie plus." »
Sumner Kagan est un jeune homme dont l'aura hurle : humiliation et destruction. C'est l'un des rares à posséder la carte blanche (celle qui confirme l'absence de difformité), mais tout son être est répugnant de A à Z. Personnage creux, sans but, plein de rage bouillonnante, manquant cruellement d'intelligence ou d'un but dans la vie, celui-ci se fait happer par une femme-voor afin qu'il lui fasse un enfant. Quelque temps plus tard, l'enfant est né, a grandi, et la mère tente de s'approprier le corps de Sumner. Malheureusement, ça ne marche pas. Et ensuite, la vie de Sumner Kagan change radicalement, l'envoyant dans une aventure à la fois digne de Forest Gump et d'une initiation cosmico-mystique ou de celle d'un Jedi un peu foireux.
« L'univers est fou, poursuivait Grangol, le visage sombre, presque solennel. Un trou noir est tapi au centre de notre galaxie, comme une araignée dans une toile d'astres. La terre ébouillantée d'énergies bizarres se boursouffle de nouvelles formes de vie. Peut-être tout cela s'est-il déjà produit autrefois. Peut-être est-ce ainsi que nous avons été produits. Peut-être que quelque chose de plus grand que la douleur est en train de naître. Et peut-être pas. Peu importe. Nous ne sommes pas ici pour censurer le cosmos. »
De censure, l'auteur ne fait point preuve - au contraire ! On a bien l'impression qu'il a ici fait passer chacune des idées qui lui est passée par la tête pour écrire son roman, sans en oublier aucune. Le résultat final donne un condensé de ce qui parait être une saga entière dans un seul livre, et si le tout peut paraître un peu indigeste à force, cette nébuleuse violente et métaphysique est une sorte d'apothéose reliant la science-fiction, les récits de guerre post-apocalyptiques, la philosophie et l'illumination mystique. Concernant l'affirmation du résumé citant Castaneda et Mad Max, on y est complètement. Et je n'ai pas encore attaqué l'immense Dune, mais il paraîtrait que ce soit comparable ? Je rajouterai qu'on est également pas très loin de l'univers de Soleil vert et de la Planète des Singes.
- Dis-moi, où va donc la douleur quand tu l'oublies ? 
C'est un bon pavé, très dense, qui ne se lit absolument pas d'une traite. Il faut l'apprivoiser - ou se laisser apprivoiser, remettre le contexte en ordre et ne pas oublier d'aller faire un tour dans la partie "Jargon" de la fin pour ne pas se laisser noyer dans la vague de mots complexes et imaginaires. Le personnage principal est de loin le plus inintéressant du roman, et pourtant c'en est le héros principal - un pied de nez ? une contre-caricature ? Et que dire de l'IA apparaissant à la fin du roman, cette entité omnipotente et invincible si facilement vaincue pour le happy end final ? Il y a définitivement beaucoup d'idées, de concepts et d'ironie là-dedans - on peut comparer ça disons à la soupe prébiotique - et il va falloir s'accrocher pour en venir à bout, mais une fois qu'on y est, on peut dire que c'est un livre qui frappe fort. Et en tout cas, la réédition donne un objet tout à fait splendide, solide, malgré encore quelques coquilles et fautes subsistantes.

Bonus : d'autres extraits ici

par Mrs.Krobb

Radix de A. A. Attanasio
Littérature américaine (traduction par Jean-Pierre Carasso)
Mnemos, mars 2017 (original : 1981)
25 euros

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