lundi 24 juillet 2017

"Big fan" - Fabrice Colin

Aussi, appuyé-je, réfléchis bien à ceci : si la musique ne te transporte pas, si la musique ne te rend pas meilleur, alors n'en écoute pas. 
Difficile de classer correctement ce livre dans une catégorie.

Essai biographique sur le parcours musical du groupe de rock Radiohead, retraçant sa genèse et son apogée dans les grandes lignes, sans trop en dire sur les membres eux-mêmes, et plus sur l'aspect sonore, musical, commercial et conceptuel. De quoi donner envie de découvrir (si tant est que quelqu'un soit passé à côté) ou redécouvrir plus en profondeur cette musique qui aura inspiré de profondes théories apocalyptiques à un jeune homme qui tira sur un fan lors d'un concert du groupe, en 2008. Histoire vraie.
Il existe trois catégories de groupes, dis-je. Les non-groupes constituent l'anomalie première, un mollard glaireux craché au visage de l'esthétique musicale. Ils sont nuls de naissance ou bien le sont devenus. Par exemple, les Kaiser Chiefs sont nuls, Oasis et Franz Ferdinand le sont devenus.
Bon.
Les groupes passables sont les autres groupes. Les Flaming Lips : voilà un groupe passable. Ce qui ne garantit pas qu'ils le resteront. On pourrait aussi citer les Pixies ou My Bloody Valentine.
Connais pas. Et la troisième catégorie ?
Elle ne comprend qu'un groupe.
Radiohead ?
Je ne prends même pas la peine de répondre. Ce n'est pas que les autres groupes n'aient pas leurs bons moments. Simplement, aucun n'est destiné à racheter l'Homme. Aucun n'est destiné à sauver le monde.
Science fiction, peut-être - quoique ? - puisque lesdites théories parlent d'une Police du Karma, d'une faille spatio-temporelle (le Kid A), de sauver l'humanité de la fin du monde annoncée dans les paroles de Thom Yorke. Mais finalement, il ne s'agit pas tant de ça, on en parlera assez peu (moins en tout cas que des performances du groupe en tant que telles). Peut-être par pudeur, peut-être parce qu'il s'agit d'une invitation à recréer soi-même les théories en allant fouiller soi-même dans ces messages codés à l'intérieur de la musique, album par album, comme autant de chapitre divins.

Roman, enfin, parce que la biographie de celui qui tira, appelé également Bill Madlock ou le gros, racontée tantôt à la troisième personne, tantôt à la première, semble tout droit sortie d'un roman bien fait, avec la bonne dose de talent narratif, d'humour, de rebondissements, de drames familiaux, d'amours déçus... Mais là encore, la réalité rattrape la fiction.
Blanches, rassurantes, les mains de la voisine l'extirpèrent sans ménagement de la glue maternelle. Gémissements d'agonie => ravissement tempéré => petit sourire de circonstance, tandis que le père cuvait benoîtement au pub comme le salopard tranquille qu'il n'avait jamais cessé d'être.
S'il fallait choisir une bande-son pour le flash-black accéléré de ces premières minutes, notre choix se porterait sur « Knives Out » de l'album Amnesiac, en oubliant (ou peut-être pas) que cette chanson est censée traiter de cannibalisme.  
On notera aussi trois points de vue différents : le groupe, l'enfance et l'adolescence de Bill, et Bill en prison, qui écrit des lettres à l'auteur. Pour chacun, on part du début, et on progresse doucement, de façon plutôt égale, linéaire. Et ça fonctionne plutôt bien, on ne s'y perd pas, et même on y prend goût. Les interactions entre Fabrice Colin et Bill Madlock sont parfois cocasses, mais surtout très familières, comme s'il y avait plus entre eux qu'une envie de partager cet évènement qui fut passé sous silence - et peut-être est-ce tout simplement une forte admiration pour Radiohead (bien que personne ne puisse égaler l'adoration religieuse de ce jeune homme désespéré, dont la vie plutôt accablante laissa une grande place pour l'imagination et la musique).
Thom Yorke est le fils caché de George Orwell, de Franz Kafka, de William Burroughs et de Jim Morrison, chers amis. 
Bref, les fans de science-fiction resteront sur leur faim, sûrement, les amateurs de théories du complot pourront disserter longuement sur les tenants et les aboutissants, et les fans inconditionnels de Radiohead pourront répondre aux questionnements laissés entre parenthèses. Pour les autres, ce sera un livre bien écrit, tantôt drôle, tantôt dramatique, et une longue liste de références musicales de 10 pages. Servi bien piquant, un peu acide, légèrement tête brûlée, sûrement mélancolique, musicalement vôtre. Et pour moi, une invitation radicale à dénicher d'autres livres de cet auteur, que je ne connaissais pas et qui semble avoir publié... beaucoup.

Se commence aisément par la postface pour un éclairage amplifié sur la chose.

Bonus : un tout petit extrait ici 

par Mrs.Krobb

Big Fan de Fabrice Colin
Littérature française
Folio SF, mai 2017
7,20 euros

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