jeudi 17 août 2017

"Nuit mère" - Kurt Vonnegut

Je suis américain de naissance, nazi de réputation et apatride par inclination.
Seconde Guerre Mondiale. Berlin. Howard W. Campbell Jr., écrivain dramaturge à succès qui pensait ne pas avoir à prendre part à cette guerre qui s'en vient, devient une des figures culturelles les plus célèbres d'Allemagne nazie. Pour cela, il sera adoré ou haï. Mais, peu le savent, toute cette propagande servait au fond les forces Alliées Américaines. Bien après la fin de la guerre sonne l'heure de son jugement. Fatigué, veuf, sans but, invisible, il finit par être démasqué dans le grenier où il vit à ce moment. Juste au moment où, caprice du destin, il se fait un ami et retrouve sa femme portée disparue...
- La Journée des Anciens Combattants, dis-je à Helga tandis que nous reprenions notre marche. Avant c'était l'Armistice. Maintenant c'est la Journée des Anciens Combattants.
- Ça te contrarie ? 
- Oh, c'est tout simplement si mesquin, si révélateur. Avant, c'était une journée d'hommage aux morts de la Première Guerre Mondiale, mais les vivants n'ont pas pu se retenir d'y mettre leurs sales pattes, ils ont voulu s'approprier la gloire des morts. Tellement révélateur, tellement révélateur. A chaque fois qu'il est question de vraie dignité dans ce pays, ça finit déchiqueté et jeté en pâture à la foule.
- Tu détestes l'Amérique, n'est-ce pas ?
- Ce serait aussi bête que de l'aimer, dis-je. Je suis incapable du moindre sentiment à son égard, dans la mesure où le foncier ne m'intéresse pas. C'est sans doute une grande faille de ma personnalité, mais je n'arrive pas à penser dans une logique de frontières. Ces lignes imaginaires me sont aussi irréelles que les elfes et les lutins. Je n'arrive pas à croire qu'elles marquent la fin ou le début de quoi que ce soit d'importance réelle aux yeux de l'âme humaine. Les vertus et les vices, les plaisirs et les peines traversent les frontières à leur gré.
Kurt Vonnegut présente un personnage relativement antipathique. D'abord, parce qu'ayant participé même indirectement au mouvement de haine et de cruauté envers les juifs lors de la guerre. Ensuite, parce que même s'il l'a fait pour le compte de l'autre camp, il se rend compte qu'il l'a quand même fait en conscience de cause. Un personnage-girouette, qui ne défend pas une cause plutôt que l'autre, qui est surtout fier d'avoir pu exercer son art en toute impunité, ni fier ni terriblement honteux, ni heureux ni malheureux d'être vivant, en liberté.
- Ce n'est pratiquement jamais l'argent. Ni le patriotisme, d'ailleurs.
- C'est quoi, alors ?
- Chacun sa réponse à la question..., dit Wirtanen. D'une manière générale, l'espionnage offre à chaque espion l'opportunité de devenir fou de la manière qui lui paraît irrésistible.
Ce qui fait donc la force de ce livre, c'est de nous présenter les confessions - molles - d'un homme qui ne sait pas trop s'il doit être puni ou non, qui ne se rend pas bien compte des atrocités commises (parfois en son nom) - ou alors si, peut-être, mais ne s'en sent pas tout à fait aussi responsable que l'architecte des chambres à gaz. Un sujet épineux, tendu, difficile, abordé du côté de ceux qui ont un pied dans chaque camp, rendu d'autant plus réaliste que Kurt Vonnegut fait passer ce récit pour autobiographique, comme s'il n'en était que l'humble éditeur - et ça marche, en fait, on y croit vraiment. D'ailleurs, c'est volontairement inconfortable et déroutant. Et le tout est bien ficelé, du genre : l'arroseur arrosé, sempiternellement.

Je n'aurais peut-être pas lu le livre, je pense, si ça n'avait été pour l'auteur et la maison d'édition, mais au final, je me suis laissée emporter doucement mais sûrement. Les réflexions sont plutôt intéressantes, et le tout est traité, dans la mesure du possible, avec une pointe d'humour (de couleur), mais surtout une grande amertume pour ce que la civilisation a perdu en humanité pendant cette guerre, qui a révélé toute la noirceur dont l'Homme est capable envers son prochain, même sa famille ou ses amis. Ce qui n'est pas nouveau, certes.
- Ça meurt, ça meurt. Qui va reprendre le flambeau quand tout le monde sera mort ?

par Mrs.Krobb

Nuit mère de Kurt Vonnegut
Littérature américaine (traduction par Gwilym Tonnerre)
Gallmeister (totem), août 2016
10 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire