Extrait de "L'Infinie Comédie"

Un tiers des 50% de Bostoniens qui continuent à sortir de chez eux pour aller travailler pourraient s'en dispenser s'ils le souhaitaient. Et (retenez bien) 94% de tout le divertissement ONANite est désormais consommé à domicile : impulsions, cartouches de rangement, aménagements numériques, décoration domestique - tout un marché de divans et d'yeux pour le divertissement.
S'en plaindre, c'est comme se plaindre de la circulation routière, des tarifs des assurances-maladie ou des risques de la fusion annulaire : personne, à part quelques écolos luddistes bouffeurs de muesli, ne saurait se plaindre de ce dont on ne peut se passer.
Une infinité d'écrans privés personnalisés sont regardés derrière des rideaux tirés dans la nonchalance rêveuse des foyers. Un monde flottant non spatial de regards personnels. Toute une nouvelle ère millénaire, sous Gentle et Lace-Forché. Liberté totale, intimité, choix.
D'où la nouvelle passion millénaire pour le spectacle vivant. Tout un calendrier clandestin d' «opportunités spectatoriales» publiques d' «op-spects», la chance inestimable de s'intégrer à une foule contemplative. D'où les Attroupements de Badauds devant les accidents de la route, les explosions de gaz, les agressions, les vols de sac à main ou les lancers ratés de véhicules Empire W.D. à vecteur incomplet atterrissant dans les cités de banlieue du North Shore et attirant les multitudes de curieux avides qui sortent de chez eux à la hâte en laissant leur porte ouverte pour admirer le spectacle de l'impact avec beaucoup d'attention, s'assembler en cercle autour de témoins oculaires. D'où l'apothéose et la multiplication des musiciens de rue à Boston, dont les meilleurs roulent maintenant en voiture de marque étrangère. Toutes les nuits, à 00h00, heure du changement de côté de stationnement, on peut entrouvrir ses rideaux pour regarder le capharnaüm dans la rue, les engueulades, les embouteillages, les affolements. Les bagarres, les flagrants délits de vol dans les supermarchés, les ventes par adjudication, les arrestations pour excès de vitesse, les tourettiques coprolaliques au coin des rues, tout cela draine des foules importantes. C'est un compagnonnage anonyme, le plaisir partagé d'assister à quelque chose hors de chez soi, dans le monde extérieur, d'être une paire d'yeux parmi des dizaines d'autres, toutes orientées dans la même direction. Mais quelle prise de tête pour les contrôler, tous ces attroupements devant les scènes de crime, les incendies, les manifestations, les parades, les défilés, les émeutes canadiennes ; ils se forment si vite qu'on ne les voit pas venir, c'est une sorte de fusion inversée, visuellement, un noyau dur de spectateurs agglutinés par une force centripète.

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